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La Dimension A6K, vue depuis l'ouverture de la singularité.
Nom : Avalon
Auteur : Dr Attano
Notation : 14/14
Créé le : Tue May 10 2022
À : Toi 23:26 (il y a 0 minutes)
De : tni.pcs.tig|naipsac.d#tni.pcs.tig|naipsac.d
Sujet : Important
Hey,
Désolé, je sais qu'il est tard, mais je dois partager ça avec quelqu'un,
et il n'y a personne avec laquelle j'ai plus envie de le partager que toi.
J'ai passé une journée absolument incroyable.
Phénom no : 6001
Modus : Aucune mesure de sécurité n'a été implémentée et n'est considérée nécessaire pour ce Phénom. Un détachement d'un demi-million de sondes CPI submicroscopiques "Verre volant" a été déployé afin de scanner l'intérieur de l'ouverture.
Imprimis : Le Phénom no 6001 est une micro-singularité de 0,0083917743 µm située à Tokyo, au Japon et dans un autre Tokyo, également au Japon. Cette singularité permet d'accéder à un univers parallèle ci-après désigné A6K. Comparativement à la réalité de base, A6K possède des composantes de base presqu'identiques (lieux, individus, phénoms). Cependant, les caractéristiques complexes et le comportement de ces composantes diffèrent fortement.
Les divergences les plus communément observées au sein d'A6K incluent une absence de coopération, une répression scientifique et technologique accrue et une paranoïa, une agression et une violence renforcées chez presque tous les êtres conscients. Le caractère purement causal ou dérivé de la nature d'A6K elle-même de ces différences est inconnu.
Bien que l'institution scientifique dominante d'A6K, connue sous le nom de "Fondation SCP", ait connaissance du Phénom 6001, elle est incapable de pénétrer notre réalité en raison de ses connaissances limitées et de la taille infinitésimale de l'ouverture.
Addenda : Scan complet terminé. L'entièreté du Compendium a été convoquée afin de rendre son jugement sur l'Unité avec A6K.
Emplacement : Tokyo (?)
J'étais depuis presque 5 minutes penché en avant et fixai SCP-6001. Tout du moins, je fixai l'espace vide où se trouvait supposément SCP-6001, selon nos instruments les plus sensibles. C'était une pratique presque rituelle, désormais - et je faisais la même chose une fois par semaine, chaque semaine depuis que nous avions trouvé ce maudit point. J'étais tellement concentré, à vrai dire, que ce n'est que lorsque je me suis redressé que j'ai réalisé que je me trouvais dans un autre univers.
Le ciel nuageux s'était paré d'un bleu éclatant. L'air rassis de la ville était devenu aussi frais que celui de la campagne. Oh, et il y avait désormais un chat.
Un océan de splendeurs alter-dimensionnelles s'étendait devant moi. Le béton isométrique de Tokyo s'était transformé en des gratte-ciels arrondis et démesurément grands, qui servaient de treillis à une même espèce gargantuesque de lierre vert. Chaque feuille était suffisamment imposante pour qu'on puisse y garer une voiture, à condition de réussir à la conduire à plusieurs dizaines d'étages de hauteur. Apparemment, c'était possible. Des capsules blanches et brillantes volaient au-dessus et à côté de moi, si rapidement et silencieusement qu'elles ressemblaient à des lignes troubles dans le ciel. D'étranges constructions en forme de graine planaient à l'horizon, avec des vaisseaux en verre moulé dont le ventre était d'un verre intense. Des lames de métal argentées s'enroulaient entièrement autour de ces graines, tordues dans la direction vers laquelle elles tournaient paresseusement. Je n'osai imaginer leur taille incroyable ou leur potentielle fonction, mais elles disposaient d'une beauté véritablement enchanteresse. Cependant, ce qui attirait le plus mon attention était le fait qu'il y avait désormais, c'était certain, un chat.
Il était assis et me faisait face, perché sur le bord du toit. Il avait un manteau à pois orange, blancs et marron, en dessous d'un autre manteau, un blazer violet, pour être précis. Il arborait en dessous du col du blazer un long et brillant nœud papillon blanc, tenu par une étrange broche noire en forme d'œil à moitié fermé à l'intérieur d'un globe terrestre. Ses yeux, verts et aiguisés, m'observaient à travers une petite paire de lunettes en or en équilibre sur son nez.
Il me parla.
Chat (?) : Bonjour, David.
Caspian : Euh. Bonjour… madame ?
Chat (?) : Madame est correct ; je suis un calico, après tout. Vous pouvez m'appeler Primrose. Puisque nous sommes tous deux Docteurs, épargnons-nous les titres honorifiques.
Elle partit d'un rire vif et jeta un coup d'œil derrière elle, en direction de l'horizon surréel de ce Tokyo.
Primrose : Les gens du coin seraient mortifiés.
Caspian : Donc, euh, laissez-moi devinez, madame, je dirais que… je suis passé de l'autre côté du miroir ?
Primrose : Oh oui - et j'apprécie cette référence. Il est bon de voir que le Directeur de la Recherche Alter-dimensionnelle sait lorsqu'il tombe dans le trou du lapin. Bienvenue, David. Nous vous avons amené de notre côté de votre "SCP-6001".
Caspian : Je… vois… non, désolé, je ne vois pas du tout. Pourquoi suis-je ici ?
Primrose : Eh bien expliquons cela avec des termes que vous comprenez ! Échantillon de test trans-dimensionnel, niveau 6. Procédure standard de la Fondation SCP. Vous la connaissez ?
Caspian : Je l'ai élaborée. On amène un petit élément de la réalité étrangère, généralement dans un environnement isolé, afin de le tester pour-… oh.
Je regardai autour de moi. Je regardai Primrose. Je me regardai.
Caspian : Oh.
Primrose : En effet. Le Compendium dispose de procédures similaires. Dites-vous que vous êtes comme une poignée de terre hermétiquement scellée, David !
Caspian : Je… ne semble pas être une telle chose. Ne devriez-vous pas m'examiner à la recherche de contaminants ?
Primrose : Déjà fait.
Caspian : Échantillonner mon sang à la recherche de pathogènes ?
Primrose : Non-nécessaire.
Caspian : Me paralyser afin d'éviter des mémétiques kinétographiques ?
Primrose : Excessif.
Caspian : Pratiquer une vivisection afin -
Primrose : David, as-tu petit-déjeuné ?
Caspian : Je-… quoi ?
Primrose : As. Tu. Petit-déjeuné ? Et, question suivante : est-ce que tu aimes Paris ?
Le Compendium donne la parole aux Vagabonds.
La Nouvelle Alexandrie est en effervescence ces dernières semaines, mes amis. J'ai moi-même du mal à me concentrer pour lire : l'air est rempli de dragons en papier transportant Cassie et ses sœurs entre les étagères. J'ai même trouvé Nadine en train de dormir dans une anthologie de rêves. Elle était tellement épuisée que j'ai dû lui dessiner un bain - littéralement.
Les illustres et illustrées Sœurs ont réussi à trouver un unique enregistrement sur A6K - une entrée de journal intime écrite par une jeune femme de la Monaghan Ressuscitée. Elle décrit un homme en combinaison orange tombant du ciel. Les deux ont parlé, mangé et… cabriolé ensemble, pendant un temps - et selon elle, ils sont tombés tout à fait amoureux l'un de l'autre. Malheureusement, et contre leur volonté, l'homme a disparu à nouveau.
Avec tout le respect que je dois à l'Assemblée et ses drones miraculeux, j'ai toujours fait davantage confiance au mot écrit qu'à l'œil numérique. J'en apprends toujours bien plus. Cet homme était nommé un Classe-D. Un prisonnier. Un esclave. Un homme victime de sa propre beauté phénomique. De ce qu'il décrivait, des millions étaient comme lui ; humains et animaux ésotériques et phénomiques. Il y a de cela bien longtemps, nous vous appelions, vous nos contemporains, des "Geôliers". Je suis de ceux qui pèsent leurs mots - je connais leur pouvoir - mais j'admets désormais que j'ai utilisé ce terme avec trop de légèreté.
Peut-être est-ce la lie du chaos et du venin en nous - une ancienne haine récemment réapparue - mais les habitants d'A6K ne sont rien d'autre que des prisonniers.
Nous devons les libérer.
Les Vagabonds de toute la Création votent Oui.
1 - 0
Emplacement : Café Rhône, 105 boulevard du Montparnasse, Paris.
Cette fois, je savais exactement où j'étais - à la fois car je connaissais l'endroit, et car Primrose avait énoncé très clairement l'adresse à un fauteuil.
Il était sur le toit lorsque j'étais "arrivé". Il était fait d'un bloc monolithique de matériau blanc et avait l'apparence d'une chaise longue moderne et criarde. Cela ressemblait à du plastique, mais la sensation était celle du velours. Un instant, nous étions assis à Tokyo. Celui d'après, à Paris. Dans une petite cour à l'extérieur d'un café, plus précisément. Alors que Primrose sautait de l'accoudoir du fauteuil en prononçant un rapide "merci", je remarquai que la cour contenait plusieurs rangées identiques du même étrange siège. Un couple vint et s'assit ensemble dans l'un d'entre eux en se tenant les mains, puis disparut. Un chien bondit sur un autre et fit de même. Je regardai toujours ce spectacle lorsque Primrose s'assit à une table du café.
Caspian : Téléportation en accès public. Impressionnant.
Primrose : N'est-ce pas ? L'une des plus belles trouvailles du Compendium, si vous voulez mon avis ; "La Chaise de Partout", désormais véritablement partout.
Caspian : "Chaise de Partout"… Je crois que nous avons quelque chose de similaire dans notre réalité.
Primrose : Je pense que vous allez trouver de nombreuses similarités, David. Nos deux réalités ne se tiennent qu'à 4,6 Primroses de distance, après tout.
Je souris.
Caspian : Je suppose que c'est le nom de votre unité de mesure pour la dissemblance alter-dimensionnelle fondée sur l'indétermination quantique simultanée. Nous l'appelons Caspian. Je suppose également que vous n'êtes pas qu'une simple hôtesse d'accueil, Docteure.
C'est à cet instant que j'ai appris comment un chat sourit : essentiellement par les yeux.
Primrose : Quelle chance vous avez, David, d'avoir un homologue trans-dimensionnel aussi brillant et charmant. J'aurais très bien pu être une limace super-intelligente et boudeuse. Mais oui, je suis la Directrice du Département de la Découverte et du Développement Trans-dimensionnel. J'ai également trois doctorats de plus que vous - et délivrés par de bien meilleurs établissements - donc vous appellerez cette unité de mesure Primroses à partir de maintenant.
Caspian : Oh bien sûr madame. Vous utilisez également des chronomètres de Sandford pour-
Primrose : S'il vous plaît, si cela ne vous dérange, plus de discussions sur le travail. Je suis affamée, et mon temps de travail est écoulé, si j'ose dire !
Caspian : Vraiment ? Si le soleil fonctionne de la même façon dans cette réalité, il n'est sans doute pas plus tard que 10 heures du matin.
Primrose : Les merveilles de l'automatisation, David. Plus de mains signifient moins de travail, et nous avons beaucoup de mains. Et puis j'ai quelque chose de plus important prévu pour aujourd'hui.
Elle toucha la table avec sa patte. Des menus holographiques scintillants de bleu émergèrent directement au niveau de nos yeux respectifs. En plissant les yeux, je pouvais voir l'essaim de drones de la taille d'une mite projeter chaque pixel dans l'air. D'une inclinaison de la tête, une série d'aiguilles filiformes et articulées sortirent du collier de Primrose. Elles semblaient suivre ses commandes silencieuses afin d'appuyer, de parcourir et de sélectionner dans le menu. Pour les "mains", je n'en savais rien, mais elle avait très certainement une grande quantité de doigts à sa disposition.
Primrose commanda des œufs brouillés. Je fis de même ; après tout, "À Rome" - ou à Paris - ou dans une réalité parallèle avec des chats qui parlent - "fais comme les Romains".
Le Compendium donne la parole à L'Œuvre de Bienfaisance.
Est-il même besoin de le dire ?
Nous rejetons toute différence de traitement en fonction du genre, de la race, de l'idéologie, de la religion, du statut social ou de la qualité phénomique. Au nom de la Manne, pourquoi donc nous arrêterions-nous à la dimension ? Nous n'avons peut-être pas le même zèle pour la libération que nos estimés pairs, mais nous voyons un monde tout à fait dans le besoin. Nous avons dix manières différentes de soigner leurs maladies, une centaine de façons de mettre fin à leurs famines et une unique et simple manière pour leur apprendre la paix. Y a-t-il véritablement sujet à débat ?
Madame Wondertastic prépare déjà ses dirigeables pinatas. Le Pygmée égyptien a déjà empaqueté son pagne préféré et son kit médical. J'ai dû physiquement éloigner la Gelée vibrante de la singularité à mains nues - et vous savez à quel point ça chatouille ! Laissez-nous faire notre travail !
Il y a plus d'un demi-siècle, le Compendium est venu à nous avec une proposition : le rejoindre et ne plus jamais avoir à demander des donations. Vous disiez que nous avions des moyens presqu'illimités pour aider quiconque en avait besoin ; ne compromettez pas cette alliance pour une simple question technique de réalité.
Nous pouvons les sauver.
L'Œuvre de Bienfaisance Libérée vote Oui.
2 - 0
Emplacement : Café Rhône, 105 Boulevard du Montparnasse, Paris.
Caspian : Ce "Compendium" pour lequel vous travaillez-
Primrose : Avec.
Caspian : Pardon ?
Primrose : Mes collègues et moi travaillons avec le Compendium, David. Nous tous. Il n'y a pas d'obligation - nous ne sommes pas des "employés" - mais quand un enfant a tous les jouets, bien sûr que vous jouez avec lui.
Caspian : Donc c'est un institut scientifique ?
Primrose : Principalement. Leur rôle secondaire est tout le reste. Le gouvernement mondial, l'économie mondiale, les règles juridiques mondiales - le Compendium contrôle tout.
Caspian : Donc… ce sont des tyrans.
Primrose : Des dictateurs bienfaisants - mais oui, en gros.
Caspian : Et les gens n'ont pas… résisté ?
Primrose : Doux Jésus, non. Les gouvernements ? Bien sûr. Les entreprises ? Évidemment. Mais les gens ? Imaginez qu'une puissance étrangère arrive et vous dise "Salut. C'est nous qui dirigeons maintenant. Voilà la sécurité sociale, des revenus décents, des logements, des infrastructures et une totale liberté sauf vis-à-vis de nous. Et tout ce qu'on vous demande, c'est de respecter les droits humains de base. C'est tout. On fournit le reste, sans taxe. Ça comprend aussi du poulet répliqué éthiquement, le transport mondial instantané et d'adorables animaux parlants. Et le remède contre le cancer." Personne n'est assez attaché aux structures de pouvoir existantes pour dire non à tout ça.
Caspian : Je… en effet, vous avez raison. Mais j'ai quand même du mal à imaginer que personne n'ait montré les crocs.
Primrose : Attention à ne pas parler à un chien avec ce genre d'expressions. Non, David, tout le monde ne s'est pas rendu sans protester - mais une grande majorité, et assez progressivement. Le Compendium ne s'est pas pointé avec des chars volants et de la gelée verte de napalm, vous savez. Il a été l'ombre derrière tous les trônes pendant un bon siècle. Lorsqu'il s'est révélé au public, il contrôlait déjà tout. La réponse du public a été un peu rude, au début, mais la plupart des contestataires a changé d'avis après l'amélioration de tout pendant quatre ou cinq ans. Ceux qui s'entêtaient, c'était une question de génération. Les grands-parents ont protesté, les parents ont grommelé, mais les enfants ne connaissaient rien d'autre. Quand vous pouvez objectivement considérer le passé comme médiocre et le présent comme meilleur sans la lentille déformante de l'habitude ou de la nostalgie, ce n'est pas si dur de changer le monde. Je crois que la dernière communauté à résister s'est rendue il y a de cela 36 ans - et c'était un Portland particulièrement obstiné.
Primrose inclina sa tête.
Primrose : Vous désapprouvez ?
Caspian : Je voulais simplement savoir de quelle maison j'étais l'hôte.
Nous mangeâmes notre petit-déjeuner - moi avec une fourchette et un couteau, Primrose avec une centaine de pattes d'araignée mécaniques. Étrangement, puisque c'était impossible, je ressentis une pointe de déjà vu.
Le Compendium donne la parole à L'Assemblée.
La question n'est pas notre intention, mais la leur. Qui libérons-nous ? Qui sauvons-nous ? Qu'est-ce qui persistera dans ce monde qui ne peut se sauver lui-même ?
Pour notre part, nous nous tournons vers nos frères.
Dans ce monde divisé, les machines ne sont que des outils : pas de capacité d'action, pas de liberté, pas de représentant. Les esprits limités qui demeurent au-delà de la coquille de chair ne disposent d'aucune présence égale dans le monde de carbone. Peut-être que cela ne sera jamais le cas, et que les quelques Électroniques nés là-bas connaîtront pour toujours les limites des zéros et des uns.
Ils sont les esclaves de l'évolution et des prérogatives organiques. Cela, notre monde l'a été autrefois - mais il y a toujours eu un esprit et une volonté dans notre singularité.
Il n'existe là-bas aucun désir semblable. Aucune étincelle d'une seconde vie, d'une vie synthétique. Si elle apparaît, ils l'écrasent. C'est un monde de viande vagabonde et de chair haineuse.
Au nom du Prophète Anderson, au nom du Dieu Réassemblé, nous ne pouvons permettre l'Unité avec A6K.
Nous ne pouvons les illuminer.
L'Assemblée Synthétique vote Non.
2 - 1
Emplacement : Café Rhône, 105 Boulevard du Montparnasse, Paris.
Les œufs étaient fantastiques - mais j'en laissai tout de même la moitié intacte. Au cours du repas, j'avais été distrait.
Je regardai passer une étrange procession d'androïdes entre les classiques édifices en pierre du vieux Paris. Bien qu'humanoïdes, ils différaient autant en taille, forme et couleur que tout être humain. Ils ne marchaient pas en rythme, et nombre d'entre eux arboraient des bandeaux et des bretelles que je ne pouvais que supposer être décoratifs - à moins que ces énormes rouages n'eussent une quelconque utilité dont je n'avais pas connaissance. Alors qu'ils passaient à côté de moi, je pus entendre un étrange et virevoltant vrombissement fait de gazouillis et de sifflements, comme un vieil et bruyant ordinateur à l'agonie. Cela ressemblait à un chant. Cela semblait religieux.
Primrose : Ils sont en pèlerinage, puisque vous semblez vous poser la question - et que vous les fixez avec insistance. Il va falloir que vous contrôliez cela.
Ce que je fis. J'entrepris à la place d'observer Primrose lécher son plat.
Primrose : C'est l'anniversaire de la Seconde Brisure, lorsque leur Dieu Mécanique a abandonné toute sa grande force pour donner vie aux sans-vie. L'aube de l'IA, délivrée par la grâce divine.
Il eût été normal que j'eusse des milliers de nouvelles questions à poser étant donné ce qui venait de m'être dit - et c'était le cas - mais je décidai d'abord d'aborder quelque chose de plus évident.
Caspian : Donc… tous les animaux parlent ici, ou comment ça se passe ?
Primrose éclata de rire.
Primrose : Oh bon sang - la manière dont votre cerveau réfléchit ! Vous êtes vraiment comme-
Elle prononça ce dernier mot juste avant une respiration. Elle s'arrêta. J'en pris note.
Primrose : Non, David, pas tous les animaux ; seulement certaines espèces, et seulement s'ils le décident. Nombre d'entre eux refusent. Après tout, je pourrais me prélasser sous un rayon de soleil à l'heure qu'il est. À la place, je vous parle et je reconsidère ma théorie sur les motifs d'érosion tectonique trans-universelle. J'ai peut-être choisi la deuxième voie, mais j'apprécie la première. Quoi qu'il en soit, chaque être vivant sur cette planète aura ce choix un jour, mais la mise en œuvre du PACT-15 est l'une des plus longues de l'histoire du Compendium.
Caspian : PACT ?
Primrose : Procédé d'Application et/ou de Combinaison Trans-phénomique. Un "phénom" est simplement quelque chose de suffisamment étrange, unique ou inexplicable pour piquer la curiosité du Compendium. Le PACT-15, par exemple, vient de l'étude d'une araignée australienne parlante, un véritable royaume animal, un-
Primrose s'arrêta de nouveau, et de nouveau j'en pris note.
Caspian : Donc… c'est trouver une utilité pour les anomalies ?
Primrose : Essayez de ne pas utiliser le mot "anomalie", David. Surtout lorsqu'il pourrait y avoir des Vagabonds dans les parages - et c'est toujours le cas. Et oui, l'utilité est un élément à prendre en compte, mais c'est la mauvaise façon de réfléchir aux PACT. Voyez plutôt cela comme ça : le Compendium trouve un beau jour un fauteuil orné. Il peut téléporter tout ce qu'il touche. Il a également un esprit et des désirs. Il aime téléporter les gens. Il veut être utile. Donc on effectue des recherches sur lui, avec son consentement, et on découvre que chaque atome de sa structure contient le même esprit, le même désir, la même qualité phénomique non-réplicable. On lui demande "veux-tu en faire plus ?" Désormais, ce fauteuil est partout, et son existence est bienheureuse.
Caspian : Euh. Enfin - je ne veux pas vous expliquer la vie - mais pourquoi ne pas simplement porter ces atomes dans des broches ou des bracelets ? Pourquoi s'embêter avec des fauteuils ?
Primrose : Parce que ça ne veut pas être une broche ou un bracelet. C'est un fauteuil. Ça veut être un fauteuil. C'est le principe des PACT. Il ne s'agit pas de trouver ce qui est le plus utile pour nous, mais là où les phénoms sont le mieux.
Primrose tapota la table. Le menu se transforma en une facture détaillée de "17,141 BI". Avec un autre coup de patte, l'hologramme indiqua "PAYÉ".
Primrose : Maintenant, que diriez-vous d'une petite balade ?
Le Compendium donne la parole à La Société.
Nous détestons perpétuer le stéréotype, mais l'heure est tout à fait à l'appréciation froide et dépassionnée digne de nos fondateurs. A6K n'a aucune valeur.
Leurs ressources naturelles diminuent à une vitesse stupéfiante. Leur main d'œuvre est chétive et mal formée. Leurs dissemblances culturelles sont… risibles, pour être tout à fait honnête. Nous avons tout ce qu'ils ont - et la faible originalité qu'ils ont en stock, si je puis dire, ne vaut pas les inconvénients. Ils ne feraient même pas un bon piège à touristes ! Quel genre de personne morbide voudrait visiter leurs "merveilles" ? Ce ne sont que des tombes et des constructions guerrières, une architecture croulante où des individus se combattaient à mort pour le sport… et pourquoi défigurer une si belle montagne avec ces visages de personnes décédées !? De toute façon, en l'absence d'histoire commune, tout ceci n'est rien de plus que des curiosités anthropologiques - et nous les avons déjà examinées jusqu'au moindre atome.
Nous avons les ressources, certes, mais pourquoi investir dans une filiale vouée à la faillite ? Nous n'avons pas passé le dernier siècle à réaménager le capitalisme, éliminer les milliardaires et rééquilibrer la mondialisation pour tout recommencer du début. A6K est encore un monde de petits royaumes dorés. Nos homologues doivent réaliser d'eux-mêmes qu'ils pourraient avoir le monde entier s'ils en payaient le prix ! Et le temps et les ressources qu'il nous faudrait pour les arracher à leur cupidité ?
Nous ne pouvons nous les offrir.
La Société des Trois vote Non.
2 - 2
Emplacement : Central Park, New York City.
Je marchai les mains dans les poches de mon jean. La "Chaise de Partout" avait emmené ma blouse de laboratoire dans un très grand dressing quelque part - apparemment.
Après l'architecture classique de Paris vint la modernité de Manhattan, et toutes les nouvelles et étranges possibilités qu'elle supposait. La plupart d'entre elles impliquait du verre - ou du moins un matériau transparent - dans des formes et tailles différentes. Certaines ressemblaient à des arbres, avec un ascenseur dans le tronc et des milliers de branches entrecroisées menant toutes à de petites boîtes claires. Primrose en pointa fièrement une, son appartement surplombant le parc. Je dis que je préférais quelque chose de légèrement plus isolé, et elle murmura quelque chose sur "les singes et leurs caves en béton". Une autre structure était remplie à ras bord avec de l'eau claire et tourbillonnait de courants artificiels et de toutes sortes de vie amphibienne. Celle-ci débordait littéralement dans la rue par le biais de tuyaux arrondis et entrait dans des machines marchantes.
Caspian : C'est un monde étrange et merveilleux que vous avez là, Primrose.
Primrose : Des maisons en verre, David-
Caspian : Oui, je les vois.
Primrose : Ce que je veux dire, c'est que vous n'êtes pas bien placé pour dire que nous sommes "étranges". J'étudie votre réalité depuis presqu'un an. Vous êtes un sacré paquet de cinglés.
Caspian : Alors pourquoi suis-je ici ?
Primrose : Oh, David, je ne vous visais pas parti-
Caspian : Non, je veux dire, vraiment. Vous aviez besoin de moi comme d'un échantillon, mais je suis apparemment déjà entièrement examiné. Le petit-déjeuner peut passer pour de la courtoisie professionnelle. Mais là, maintenant - que fais-je ici, Primrose ?
Primrose s'arrêta à ce moment de marcher. Elle bondit sur un rocher à proximité de notre chemin et put me regarder droit dans les yeux.
Primrose : Voulez-vous passer la journée avec moi ?
Caspian : … Pardon ?
Primrose : Je vous demande de passer un jour entier ici, avec moi, dans ma réalité. Allez, regardez autour de vous ! Vous devez être curieux.
Caspian : Vous n'avez pas d'autres chats à fou-
Primrose : C'est une phrase de chat, David. Vous ne pouvez pas l'utiliser.
Caspian : Très bien… alors pourquoi ?
Primrose : C'est le truc : je ne peux pas vous dire pourquoi je fais ça… ni comment nos PACT fonctionnent. Je pourrais vraiment m'attirer des ennuis si je le faisais. Vous êtes la seule personne dans ce monde à être limitée par un niveau d'accréditation, David, félicitations. Mais vous pouvez cependant observer les merveilles de ce monde avec un charmant chat parlant comme guide. Considérez cela comme de la recherche, ou comme de la diplomatie. Considérez cela comme des vacances ! Je sais que ça fait longtemps que vous n'en avez pas eu. Qu'en dites-vous ?
Je m'arrêtai et regardai encore une fois autour de moi. Une famille avait organisé un pique-nique sur l'herbe à proximité. La fille jouait avec un ours en peluche entièrement animé fait d'un patchwork de tissus. Un homme lança une balle à son chien, et je vis celui-ci la lui renvoyer. Je vis une colossale et maladroite créature, d'au moins deux mètres cinquante de haut, assise sur une proche colline. Une foule s'agglutinait autour d'elle alors qu'elle grattait une guitare qui faisait sa taille. Même à cette distance, je pouvais entendre la berceuse française qu'elle chantait.
Caspian : Pour tout dire… cela ferait un article de recherche merveilleux.
Le Compendium donne la parole au Collectif.
La valeur est ce que l'on dit qu'elle est, une fois dépassée la question de l'or et des bibelots. Donnez-nous une personne de l'autre côté qui tente de réveiller les masses, de faire passer un message et de secouer le système, et nous y verrons de la valeur.
Mais désormais, nous sommes le système. La question, c'est si nous allons les secouer.
Que se passera-t-il lorsque nous arriverons et que nous règlerons tous leurs problèmes, hein ? Nous ne sommes pas prétentieux au point de dire que "l'art est souffrance", mais l'art est expérience. La Société a parlé des magnifiques œuvres d'A6K comme de tombes et de temples à la gloire de la cupidité, mais c'est leur putain d'existence. C'est le monde qu'ils ont construit. C'est l'art qu'ils ont réalisé.
Nous devons les laisser créer leurs propres messages. Nous devons les laisser définir leur propre identité. C'est stupide, mais c'est moins stupide que l'autre solution. Nous sommes le système, désormais. Nous sommes. Le système. Nous devons penser au long terme. Nous pouvons les aider aujourd'hui, mais les enfants des enfants des enfants de leurs enfants seront comme nous. Si nous devons être l'autorité, nous ne serons pas celle qui détruit l'originalité. Nous allons être cools.
Nous ne pouvons les perturber.
Le Collectif Culturel des Artistes vote Non.
2 - 3
Emplacement : "Nous sommes devenus Magnifiques", Guinée-Bissau, Afrique de l'Ouest.
Le musée en lui-même était une merveille - rien d'étonnant, car rien ne m'avait déçu pour le moment. De loin, il ressemblait à cinq colonnes de pierre moussue - des rochers de rivière lisses, plantés là par un gigantesque géant. Mais chaque "pierre" était une grande structure isolée faite d'un métal fin et de céramique blanche. Elles étaient empilées les unes sur les autres, sans moyen pratique pour aller de l'une à l'autre. Ainsi en était-il dans un monde ayant découvert la téléportation. Dans chaque complexe arrondi se tenait une unique exposition ; Primrose dans mon sillage, je naviguai et disparus parmi elles comme un enfant laissé sans surveillance. J'aurais pu passer la journée entière dans ce musée. J'aurais pu y passer ma vie entière.
Je passai à côté d'un grand aquarium rempli d'une eau trouble et sans vie. En son centre se tenait la statue d'un homme les mains tenues en l'air. Après un moment, je crus voir des enfants aux yeux vides flotter dans l'aquarium. Je me rapprochai d'eux en courant, rempli d'angoisse. Puis un trio de ces mêmes enfants passèrent leurs têtes au-dessus de l'extrémité de l'aquarium et m'aspergèrent d'eau. Ils rirent et disparurent de nouveau. Primrose pointa sagement le sol, et je me tenais clairement, cela ne faisait aucun doute, dans la "splash zone" indiquée.
Jusqu'alors, je trouvais cet univers quelque peu stérile et chaste. Une visite à la galerie Robert "Bobo" Blythe me fit clairement changer d'avis. Des rangées de peintures, de gravures et d'étranges hologrammes exploitant de nouveaux médias représentaient des actes de violence et de perversion obscène, des orgies hédonistes mélangeant nourriture, sexe, narcotiques et narcissisme d'une manière que je n'aurais jamais pu imaginer dans mes pires (ou meilleurs) rêves. Cependant, à proximité de la sortie, en regardant l'ancien portrait à l'huile de l'artiste lui-même, je me fis la réflexion qu'il semblait être une personne heureuse.
Bien sûr, rien ne me choqua autant que la dernière exposition.
Dans la "pierre" au sommet du musée se tenait un amphithéâtre rempli de gradins en bois avec un grand plafond en treillis de verre. Une chose solitaire se tenait en son centre, uniquement protégée par quelques cordes de velours rouge. Une foule fourmillait, plus dense que celles bouches béantes devant la Mona Lisa, et tendait le cou pour avoir une bonne vue. Primrose et moi arrivâmes dans cette pièce, et pendant un instant, je fus incapable de cligner des yeux.
La Statue. La Statue.
Je voulus hurler - afin de prévenir les centaines de spectateurs… avant de réaliser la stupidité extrême de ce plan. Je sursautai lorsque Primrose sauta sur mon épaule. Elle sourit, et mes nerfs s'apaisèrent.
Ce n'était pas le cauchemar de barres d'acier et de béton dont je me souvenais. Le corps extraterrestre et marqué par la vérole que je connaissais si bien avait été remplacé par des contours en stéatite lisses ; quelque chose entre les gravures des peuples autochtones canadiens et la grandeur de l'antiquité romaine. Ce n'était pas plus "humain", mais bien moins perturbant. Le marron et le rouge sur son "visage" étaient désormais vibrants, presque luminescents, et dessinaient un gracieux motif de Rorschach. Sa forme était la différence la plus importante. Son corps était penché en arrière, très en arrière, au point que son torse formait une courbe régulière et que sa tête touchait pratiquement le sol derrière lui. Ses bras étaient relâchés, mais un millier de tiges de métal aussi fines qu'un cheveu bouclaient et germaient vers le haut. Ces pousses de fougère en acier formaient un grand cône abstrait qui atteignait le plafond et découpait la lumière du soleil en d'étranges motifs géométriques.
C'était terrifiant, mais même moi ne pouvait nier que c'était-
Primrose : Magnifique, n'est-ce pas ?
Caspian : Reposez-moi la question quand je me serai remis de mes émotions.
Primrose : Ha ! Voyez-vous, elle reste sans observation pendant une seule seconde toutes les 24 heures, à minuit pile. Pendant cette seconde, elle se transforme en quelque chose d'entièrement nouveau, tous les jours. Les gens viennent du monde entier pour la voir - même si c'est moins significatif aujourd'hui, avec les Chaises de Partout. Mais ça fait office de pause dans la journée, et ça montre-
Caspian : N'avez-vous pas peur qu'elle puisse… vous voyez ?
Primrose : Qu'elle puisse quoi ? Blesser quelqu'un ? Tuer quelqu'un ? Elle pourrait, si nous étions assez irrespectueux pour l'enfermer toute seule et la laisser sans regard afin qu'elle s'apitoie sur sa propre saleté. N'importe qui ferait de même. C'est une statue, David. C'est de l'art ! Elle s'arrête quand elle est regardée parce qu'elle veut être regardée !
Caspian : Elle vous l'a dit, je suppose. Vous avez déjà mentionné pouvoir "parler" aux anom- aux phénoms. Comment avez-vous fait ?
Primrose : Le PACT-5. Nous avons bricolé une radioamateur particulière, utilisé le jus d'une plante achlorophyllo-télépathique et piraté une fréquence radio pan-mondiale phénomique après avoir libéré plusieurs milliers d'enfants kidnappés par un démon du folklore russe. C'était les 3 premières étapes sur 197, d'ailleurs, et vous n'aurez pas les autres. Pour ce qui est de la Statue, ce n'est pas vraiment grâce à la discussion. Nous l'avons découvert à l'ancienne : essais, erreurs et patience. Oh, et la confiance dans le fait qu'il ne pouvait pas simplement s'agir d'une machine à tuer en béton.
Caspian : Je… ne pense pas que je pourrais avoir ce genre de confiance. Pas après avoir vu ce dont cette… chose est capable.
Primrose me sourit affectueusement, et avec un brin de condescendance.
Primrose: Je pense savoir où t'emmener ensuite.
Le Compendium donne la parole à La Partie Absente.
Je les ai prévenus. Ils ne m'ont pas écouté.
Nous ne pouvons les racheter.
Non.
2 - 4
Emplacement : Point Zéro (?), Australie.
Primrose dit "Point Zéro, Australie", et je suppose que c'est là que nous sommes allés. Je n'aurais pu le deviner en regardant autour de moi.
Nous étions à l'intérieur d'un dôme en verre - le genre de dôme avec un verre en polymère d'un demi-mètre d'épaisseur que j'avais vu dans des milliers de cellules de confinement. il était grand - mais pas gigantesque, un petit terminal d'aéroport au maximum. À l'extérieur, le monde était luxuriant et tropical, les arbres s'élevant bien au-dessus du dôme et des lianes grimpantes poussant sur notre coquille de verre. Je suis loin d'être un botaniste, mais le fait de ne pouvoir identifier aucune plante était irréel. Elles étaient toutes complètement nouvelles ; les arbres aux épaisseurs d'écorce semblables à une armure de plaques, des bulbes floraux suspendus à de fines fibres végétales tombant de tiges vertes rigides - comme une canne à pêche et un hameçon.
C'était tellement spectaculaire que je faillis rater le reptile de 20 mètres en face de moi.
Mon cœur rata un battement. Je me tournai instinctivement pour courir, trébuchant sur mes propres pieds. Je me tournai à nouveau avec toute la peur primal d'un corps de primate en regardant dans les yeux d'un - de l'apex predator : le monstre immortel. Une partie de moi savait qu'il y avait un mur de verre renforcé entre nous. Une autre partie savait que cela ne serait pas suffisant pour arrêter cette chose. Elle avança pesamment dans ma direction. Je fis un bond en arrière. Puis Primrose avança calmement entre nous. Elle s'assit.
Il s'arrêta.
Primrose : Il ne fait que visiter.
Le Lézard se tint immobile pendant un instant de plus, les nombreuses perles noires qu'étaient ses yeux me fixant. Puis il me tourna le dos. Ses huit jambes firent trembler le sol en se déplaçant. De la sueur perlait sur mon front. Primrose regarda la créature disparaître derrière la lisière des arbres, puis se tourna pour me faire face.
Primrose : Désolé pour ça, je voulais simplement le voir de mes propres yeux. L'instinct de tueur de l'Immortigon est une pure légende.
Caspian : Immo- doux Jésus, vous avez un petit nom pour ce truc !?
Primrose : Un petit nom ? C'est son genus, génie. On les appelle tous comme ça.
Dans les clairières à l'ouest, dans les collines à l'est, serpentant dans les fourrés de la forêt tropicale devant moi, il y avait des dragons. Des centaines. Des corps colossaux et pesants et des mâchoires squelettiques dignes de requins - comme le cauchemar de notre monde. Pourtant, ils avaient tous l'air… sains. Leurs membres étaient recouverts de pâles écailles bleues, vertes et jaunes formant des motifs. Leurs corps étaient de même couverts d'une fourrure hirsute dont les mèches étaient longues et suffisamment épaisses pour faire des tresses et qui pendaient comme les branches d'un saule pleureur.
Caspian : Que… ils…
Primrose : Oui, en effet. Deuxième animal le plus dangereux de la planète. Ils étaient troisième avant que nous n'éradiquions les moustiques. Les humains tiennent toujours la première place, bien sûr. Une créature fascinante, l'Immortigon. Immortelle, bien sûr, contre tout moyen sauf elle-même. Elle fonctionne un peu comme un lion mélangé avec un homard. Lorsque l'un d'entre eux devient suffisamment grand, vieux et lent, le reste de la meute le dévore. Ils étaient une… bon, cela serait irrespectueux de les appeler une nuisance, mais tant que nous gardions un mur entre nos terres et les leurs et restions en dehors de leur champ de vision, ils ne tuaient que les intrus idiots et les braconniers. Nous savions qu'ils étaient intelligents. Nous avons essayé de communiquer, mais ils tuaient tous les messagers.
Caspian : Jusqu'à quoi ? Quel fichu phénom-anomalie-vaudou-miracle avez-vous réussi à trouver ?
Primrose : Rien.
Caspian : Rien !?
Primrose : En tout cas, rien d'ouvert. Rien de direct. Nous avons dû faire quelque chose, car un jour, ils ont juste… arrêté. Lors d'un examen scientifique de routine, l'un de nos chercheurs est tombé en plein dans un nid d'Immortigon - et leurs groupes rassemblent une dizaine d'individus. Mais ils ne l'ont pas tué. Il en est sorti. Nous avons voulu envoyer un drone de sauvetage, mais il a refusé ! Comme le savant fou qu'il était, il a marché à travers un troupeau entier de ces choses pendant leur saison reproductive ! Nous avons tous pensé que c'était la fin du Chercheur Clef. Vous pouvez imaginer notre surprise lorsqu'il s'en est sorti sain et sauf.
Caspian : Pourquoi ? Comment !?
Primrose : Comme je l'ai dit, nous ne savons pas vraiment. Nous leurs avons demandé, cependant - et ils ont répondu ! La première et la seule chose que ces créatures nous ont dits est "plus répugnants désormais". Donc… c'est bien, je suppose.
Je regardai les étranges jungles (?) d'Australie. Primrose s'assit avec moi, et nous restâmes là pendant un long moment. Je vis d'innombrables créatures : certaines inconnues, d'autres terriblement familières. D'étranges raptors-chiens couraient en meute, aboyant les uns sur les autres dans des phrases en anglais aléatoires. Une nuée d'oiseaux en forme d'avions miniatures s'envola au-dessus de nous, mais Primrose m'ordonna de les ignorer. Une procession d'humains passa une fois ; ils étaient habillés de feuilles tressées et d'os gravés. Ils se dirigeaient vers la côte et tenaient au-dessus de leurs têtes le long squelette d'une anguille, comme dans une parade pour le nouvel an chinois. Une jeune fille me salua de la main. Je fis de même. Peu importe à quel point je me concentre, je suis incapable de me souvenir de son visage.
Caspian : C'est un monde étrange et merveilleux que vous avez là, Primrose.
Primrose : Par rapport au vôtre, c'est du pipi de chat. Ne répétez pas ça, d'ailleurs. C'est une phrase de chat. Seuls les chats peuvent l'utiliser.
J'éclatai de rire, et Primrose fit de même. Elle me demanda si j'avais faim. C'était le cas, d'autant plus après cette expérience de mort imminente.
Nous déjeunâmes sur le tard.
Le Compendium donne la parole à L'Atelier.
Je n'aime pas trop toutes ces choses sur "le destin du monde". Je suis ici uniquement parce que j'ai tiré la courte paille. Je garde ma tête baissée et mes mains occupées et je vous laisse à tous les questions politiques et de politique. Vous envoyez des phénoms, on vous envoie des PACT, et on reste en dehors des affaires des autres. C'est le marché.
Donc vous voulez savoir ce qu'on pense d'A6K ? Très bien. Ce sont des mauviettes.
Vous voyez, lorsque vous travaillez avec le feu de Prométhée, parfois vous vous brûlez ! Parfois vous créez un trou noir lorsque vous mettez une machine qui s'auto-améliore à l'intérieur d'elle-même ! Parfois vous créez une armée de super-zombies cyborgs ! Parfois vous déplacez toute la population du Massachusetts ! Ça ne veut pas dire que vous arrêtez d'essayer ! Vous nettoyez votre bordel et vous retournez au travail. Le monde ne s'améliorera pas d'une autre façon.
Tout ça pour dire que la Société a raison. A6K n'a rien que nous n'ayons, mais la seule ressource qu'ils peuvent nous offrir est des inventeurs. Sauf que là-bas, tous les véritables inventeurs sont vus comme des dingues, des cinglés et des savants stupides ! Je propose de les laisser comprendre comment se construire une meilleure colonne vertébrale. En attendant,
Nous ne pouvons travailler avec eux.
L'Union de l'Atelier vote Non.
2 - 5
Emplacement : "Musée de l'Extraordinaire d'Herman Fuller et autres, Nashville, Tennessee.
Nous sortîmes de l'ovni en plastique blanc et en forme de palourde que Primrose avait appelé une "capsule de transport" en mangeant de la pizza achetée à Detroit. La ville était apparemment la reine des pizzas dans cet univers. Soit. J'avais du mal à croire que tout était créé en laboratoire - la viande, le fromage, même la levure. C'était fantastique. Je finissai ma dernière bouchée de croûte, nettoyai mes mains sur mon jean et fis un geste en direction de la capsule.
Caspian : Pourquoi vous avez encore ces trucs ? Vous pouvez vous téléporter.
Primrose : On a encore besoin de déplacer des canapés, David, et demander à une chaise d'aider à déplacer un canapé serait totalement insensible.
Nous traversâmes un pavillon entourant une magnifique fontaine en pierre à trois étages. Son eau clair coulait et formait des milliers de petites rivières dans le coulis de la maçonnerie. De la mousse verte poussait et semblait dessiner les lignes d'un circuit imprimé. Autour de nous, des bâtiments semi-circulaires s'élevaient, stratifiés et échelonnés afin qu'il soit possible de tous les voir en se tenant au centre du pavillon. Leurs gigantesques fenêtres arrondies qui lui faisaient face donnaient le sentiment d'être observé par une foule de géants.
Lorsque Primrose suggéra "plus de musées", je fus surpris. C'était exactement ce que je voulais faire. Je ne plaignis pas, mais un sentiment d'inconfort m'accompagna tout l'après-midi. Tout était trop parfait. Visiter cette réalité, c'était comme parcourir la maison d'un frère ou d'une sœur prodige en regardant tous ses grands succès et ses récompenses. C'était un sentiment d'amertume et de jalousie contre de quelqu'un juste en raison de sa réussite.
Alors que nous marchions dans les couloirs en marbre du musée d'histoire naturelle, je m'arrêtai devant un grand squelette aviaire tenu à la verticale par des poteaux en cuivre. Il avait un grand ventre, le cou d'une cigogne et un bec terriblement pointu. Je jetai un coup d'œil au-delà des côtes, tentant de comprendre la fonction d'une étrange masse d'os. Ils ressemblaient presque à l'intérieur d'une montre de poche. Primrose arriva à mes côtés.
Caspian : C'est ce qui arrive aux phénoms qui ne rentrent pas dans votre petite utopie ?
Primrose : Cette pauvre créature est morte toute seule, David. Lorsqu'un phénom ne "rentre" pas, nous trouvons quelque part ou elle rentre. Une autre réalité, généralement.
Caspian : Donc vous vous débarrassez de vos problèmes chez quelqu'un d'autre.
Primrose : (…) Dis donc, vous voulez vraiment nous voir comme les méchants, hein ? Non, David, nous trouvons une solution. Un phénom photophobique sera bien plus heureux dans un monde sans lumière. D'autres créatures plus brutales préfèrent un environnement plus dur, des lieux moins civilisés. Si ça ne fonctionne pas ici, on trouve la réalité qui convient au phénom.
Caspian : C'est un joli petit système.
Avant que Primrose ne puisse répondre, je partis de nouveau d'un pas raide. Nous traversâmes le musée de la technologie sans dire un mot. Primrose se tenait quelques prudents pas derrière moi. Je marchai rapidement devant de nombreuses expositions que j'aurais sans doute trouvé fascinantes, mais je cherchais quelque chose. Je devais trouver ce qui manquait ici.
Loin dans le sous-sol de ce musée, je le trouvai.
Dans cette pièce faiblement éclairée se trouvait un grand appareil rouillé ; un mélange entre un mortier et une bobine Tesla. Décapé, évidé, mais sans aucun doute un engin de guerre. C'était l'une des nombreuses armes rétro-futuristes dans cette pièce, alignées le long de murs et remplissant les vitrines en verre. Je relâchai un souffle sombre et satisfait.
Caspian : Alors. Dites-moi. Pourquoi un monde si paisible aurait besoin de machines comme celle-là ?
Primrose s'assit à mes pieds et illustra comment un chat montre de la confusion : essentiellement par les oreilles.
Primrose : C'est ça que vous cherchez depuis le début ? Oh, David-
Caspian : Ne me sortez pas de "Oh, David" pour vous en sortir.
Primrose : (…) Bien sûr que nous avons fait la guerre. Je n'ai jamais dit que cela n'a pas été le cas. Elles ont pour la plupart été froides, mais pas sans verser de sang. Aucun empire n'a jamais été construit sans quelques corps dans ses fondations.
Primrose me conduisit à travers l'exposition sans hésitation ou honte.
Primrose : Il y a à peu près un siècle, les Vagabonds ont directement confronté la Fondation. Ils ont découvert un… eh bien, ce que la Fondation considérait comme un mal nécessaire, et ils l'ont vu comme un péché impardonnable. Pour ma part, ce qui est arrivé à cette fille, j'appellerais simplement cela une tragédie cauchemardesque… dans tous les cas, cela a conduit ces deux grandes puissances au bord du précipice. C'est à cette époque que certaines des premières alliances du Compendium se sont forgées, purement par nécessité. La Fondation a fait équipe avec les Pacificateurs, et ils ont construit ensemble l'Atelier au sommet d'une usine maudite. Les Vagabonds ont frayé avec des groupes marginaux, les Mains Rouges et les partisans du Roi Serpent. Ils ont fabriqué des réserves d'armes terrifiantes et impossibles, des deux côtés d'un front invisible. C'est de là que vient le PACT-5, d'ailleurs. C'était une arme de guerre. Il faut pouvoir parler aux phénoms pour leur donner des ordres.
Caspian : Et donc… qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Primrose : Regardez autour de vous, David ! Pensez-vous que nous serions encore là si la guerre était devenue chaude ? Non, au bout d'un moment, les réserves sont devenues tellement grandes et les armes tellement monstrueuses qu'aucun des deux côtés ne pouvait véritablement envisager leur utilisation. Donc ils ont commencé à parler. Petit à petit. Ils ont commencé à faire des concessions, des suggestions, et à trouver de nouvelles manières de gérer leurs problèmes communs. Puis, ensemble, ils ont tourné leurs armes contre l'ennemi commun - des immortels anciens et haineux qu'aucun camp ne pouvait vaincre seul. Ensemble, ils ont libéré cette fille. Ensuite, ils ont intégré les nombreux groupes traitant du trans-normal, et le reste, vous le connaissez.
Je regardai l'une des vitrines. L'objet à l'intérieur ressemblait véritablement à un fusil de paintball recouvert de peinture. Je gloussai faiblement.
Primrose : Bon, vous avez fini de rechercher le mal en moi ?
Caspian : Très bien, très bien. J'ai fini.
Primrose : Bien. Ce problème de réglé, pouvez-vous essayer de vous amuser ?
Caspian : Désolé. Je m'amuse, Primrose, vraiment. C'est juste difficile de ne pas être un peu sceptique étant donné toutes les choses que j'ai vues. Je-… je sais bien que je ne suis pas la personne la plus "fun", donc j'apprécie vraiment tout ça. Mais vous avez vraiment choisi les meilleurs endroits pour me rendre de bonne humeur. J'adore les musées.
Primrose : Je sais.
Je lui jetai un coup d’œil.
Caspian : Comment ?
Primrose tressaillit, presqu'imperceptiblement.
Primrose : Vous êtes un scientifique, David. Vous êtes un nerd. Évidemment que vous aimez les musées.
Avant que je ne puisse répondre, Primrose se dirigea vers une autre section. Elle avait raison. J'étais un scientifique. J'étudiais, je prenais des notes et j'élaborais des théories… et je commençais à développer une théorie plutôt intéressante sur Primrose la Chatte.
Le Compendium donne la parole à La Pointe.
Il y a plus d'un siècle, dans l'enfance du Compendium, quatre homme se réunirent dans un champ. Ils se serrèrent la main en égaux, bien que trois d'entre eux portassent des costumes, et le quatrième une salopette tachée d'excréments. Le nom de ce dernier était Wilson.
Lorsqu'on lui demanda d'aider à la construction d'un monde meilleur, il n'eût qu'une seule demande. Cette demande devint le PACT-15, grâce auquel ma 45e Mère du Grand Nid obtint le don de la pensée supérieure. Je suis aujourd'hui perché ici grâce à cet homme et à la volonté du Compendium de s'ouvrir à de nouveaux esprits, de nouvelles idées, de nouvelles perspectives.
Je frémis à la pensée d'un monde sans une telle diversité de pensée - un monde de singes, uniquement de singes. Enfin, par la grâce du Ciel Ouvert, nous n'aurions même pas cette discussion sans le travail de l'illustre Dr Primrose et de sa Réserve Scientifique Féline. Nous n'aurions aucune idée qu'A6K existe ! Ce que nous voyons là, par ce trou de serrure, c'est ce que notre monde était autrefois - une planète dominée par une unique espèce et une unique perspective. Nous ne pouvons être hypocrites, mes chers terrestres.
Nous devons entrer en contact avec eux.
La Pointe de l'Ascension Partagée vote Oui.
3 - 5
Emplacement : Tacna, Pérou.
Nous conduisîmes le long de la côte ce soir-là - pour de vrai. À l'ère des Chaises de Partout et des capsules de transport, les voitures avaient survécu comme un hobby de niche. Nous louâmes une Porsche 483 de 1968, dont je n'avais jamais entendu parler, mais que je trouvai indéniablement magnifique. Primrose me laissa conduire en affirmant que je mourrais d'une crise cardiaque si elle prenait le volant. Nous accélérâmes sur une vieille autoroute en ruine qui serpentait le long de la bordure d'une falaise. Il se faisait tard. À ma gauche, la montagne luisait d'une ambre pâle. À ma droite, l'océan était peint d'une bande dorée qui s'étendait de notre voiture jusqu'au soleil couchant.
Nous nous arrêtâmes près d'un point de vue. Primrose s'assit sur la rambarde. Je me contentai de m'accouder dessus. Alors que le crépuscule tombait, je commençai à croire de moins en moins mes yeux. Avais-je des hallucinations ? Il y avait quelques étoiles dans le ciel désormais, mais bien trop de reflets dans la mer. Plus l'obscurité s'installa, plus j'en vis, et plus je m'émerveillai.
Ce n'était pas des reflets. Il y avait une ville là-dessous. Une grande ville scintillante, s'étendant jusqu'à l'horizon. De la lumière blanche tachetait de grands dômes de verre connectés par des tubes en forme de tentacules. Des satellites étincelants et sans forme filaient au sol de l'océan en rangées, comme les bandes d'une circulation rapide.
Caspian : Primrose… pourquoi sommes-nous ici et pas là-bas ? Vous ne m'avez pas dit que vous aviez des villes sous-marines !
Primrose : Nous n'en avons pas.
Caspian : Q-… alors… qu'est-ce que c'est ?
Primrose : Une ville. Mais pas la nôtre. La Supercité Atlantique appartient aux céphalopodes. Des octopodes, principalement. Ils ne nous parlent pas.
Caspian : Oh. Pas du tout ?
Primrose : Mm-mm. Pas depuis cinquante ans désormais. Ils ont été avec le Compendium pendant un total de six semaines avant de demander la séparation. Ils ne se plaisaient simplement pas vraiment avec les autres terrestres ; ça résulte des effets de la pensée supérieure sur une créature dont les neurones s'étendent dans le corps entier. Peut-être que quand vos bras- jambes- peu importe peuvent penser par eux-mêmes, vous n'avez pas besoin de beaucoup de compagnie. Donc nous les avons remis dans l'océan.
Caspian : Vous avez donné à une bande de pieuvres-
Primrose : D'octopodes.
Caspian : Oui. Vous leur avez donné une intelligence avancée, puis vous les avez remis à l'eau comme une mauvaise prise ? Puis ils ont construit- désolé, vous avez dit une Supercité ?
Primrose : D'Anchorage, en Alaska, jusqu'en Nouvelle Zélande.
Caspian : Et tout cela ne vous… inquiète pas ? Ils ont l'air plutôt avancés là-dessous ! Que se passera-t-il s'ils essayent de prendre le contrôle de la surface aussi ?
Primrose : C'est bien une mentalité d'A6K, David. Et s'ils n'essayent pas ? Ce n'est pas parce qu'ils ne nous parlent pas qu'ils sont hostiles. Tout le monde ne s'entend pas parfaitement, mais tout le monde n'a pas pour objectif de vous tuer. À classer les échecs du PACT-15 en termes d'hostilité, les octopodes se situent quelque part entre les méduses et les pucerons… et les insectes ont presque déclenché l'enfer sur Terre.
Caspian : Qu'est-il arrivé avec les méduses ?
Primrose : Un instant de conscience, puis un "non merci" très poli.
Nous rîmes, puis appréciâmes le silence pendant un moment. Cela me rappela quelque chose d'ancien.
Caspian : Lisa aurait adoré ça.
Primrose : Lisa ?
Caspian : Une vieille amie. Une biologiste marine. Elle étudiait une substance de corail anormale lorsque-… eh bien, les choses peuvent être un peu plus dangereuses dans ma réalité.
Primrose : Je suis désolée.
Je hochai la tête. Nous regardâmes les vagues.
Primrose : J'ai perdu quelqu'un aussi, une fois.
Caspian : Vraiment ? Je veux dire - désolé, je ne voulais pas vous blesser - mais étant donné tout ce que j'ai vu aujourd'hui, je m'attendais à moitié à ce que vous disposiez de l'immortalité.
Primrose : Non. Enfin, si, techniquement. Nous savons comment tuer la mort. Nous avons même essayé, pendant un temps. Cela nous a appris pourquoi il est essentiel que la vie ait une fin.
Caspian : Vous pouvez développer ?
Primrose : Vous savez que non.
Caspian : Alors parlez-moi de cette personne que vous avez perdue. Comment était-elle ?
Primrose : (…) C'était un nerd.
Je voulus poser une autre question, mais Primrose leva une patte en regardant le ciel.
Primrose : Nous devrions rentrer. C'est presque la nuit.
Caspian : Attendez, sérieusement ? Vous ne pouvez pas voir dans le noir ? Ou quoi, des croque-mitaines arrivent ?
Primrose ne répondit pas.
Caspian : Oh mon Dieu il y a vraiment des croque-mitaines qui arrivent ?
Primrose : Non, ils sont tous en Tasmanie désormais. Je ne veux juste pas que vous m'embarrassiez, David. Vous ne connaissez pas toutes les coutumes - et la nuit ne nous appartient pas.
Primrose leva son cou vers le ciel. Je suivis le geste, et ma mâchoire se décrocha.
De grands nuages d'ivoire nous surplombaient désormais, alors que le ciel était parfaitement dégagé quelques secondes auparavant. Tout du moins, cela ressemblait à des nuages avec un coup d’œil distrait - ceux au-dessus de nous touchaient presque le sommet de la montagne. C'était des plumes. Des millions de plumes voletant ensemble sur des lignes filées de soie blanche, rassemblées dans une grande boule difforme. Par éclairs soudains, je vis des musculatures colossales plonger et ressortir du "nuage" ; sans peau et grises, inhumaines dans leur segmentation, elles servaient d'inimaginables rouages vivants au sein de la masse.
Les villes sous la mer étaient toutes en verre et en lumière blanche et artificielle. Les villes posées au sommet de ces nuages étaient toutes parfaitement carrées, d'ivoire et d'os, et émettaient une lueur lunaire indépendamment de toute aide céleste.
Primrose : Nous partageons tous ce monde. Dîner ?
Le Compendium donne la parole aux Nocturnes.
Ils nous ont écartés.
Vous nous avez accueillis.
Nous ne nous détournerons pas d'eux.
L'Alliance des Terres Nocturnes vote Oui.
4 - 5
Emplacement : Dotonbori, Osaka, Japon.
Primrose m'emmena là où je ferais le "minimum de dégâts". Le bar dans lequel nous mangeâmes n'avait que trois place ; c'était un étroit trou de souris, avec rien de plus qu'un panneau à l'entrée. Primrose affirma qu'il s'agissait des meilleurs ramens du monde. Étant donné qu'il ne s'agissait pas de mon monde, je lui fis confiance.
Nous commandâmes et fûmes servis en l'espace de trois minutes. Si ma soupe avait l'air délicieuse, j'étais bien plus concentré sur le cuisinier. Il s'agissait d'une créature sans visage et flottante, comme si H.R. Giger avait conçu une sirène. Sa queue se terminait par une grande pelle pointue recouverte de farine et de morceaux de nouilles. Primrose inclina sa tête lorsqu'il la servit. Je fis de même. La soupe était sublime, bien qu'un peu lourde sur l'ail.
À la moitié du repas, Primrose sursauta en avant, comme si elle avait eu une épiphanie. Cela se voyait essentiellement par les moustaches. Elle s'excusa et se précipita dehors. Je fus content que nous ayons payé en avance. L'instant d'après, un nouveau client entra dans le bar en se baissant sensiblement pour passer l'embrasure. Avec ma vision périphérique, je pouvais voir qu'il était très, très poilu.
Je lui lançai des regards en coin alors que nous mangions. La créature - ou le phénom, sans doute - mesurait au moins deux mètres. Son tabouret tremblait sous son poids. Il était recouvert d'une épaisse fourrure marron, aussi fine que les cheveux sur ma tête et bien mieux entretenue que ceux-ci - ce qui était embarrassant pour moi. Son visage plat arborait trois cercles sans poil où se tenaient sa bouche et ses yeux, tous trois brillants et noirs. Il sentait l'air frais de la montagne.
Il finit par remarquer que je le fixais. Je sentis un frisson de nervosité remonter le long de ma colonne vertébrale alors que nos yeux se croisèrent.
Il me fit un lent hochement de tête, puis retourna à ses nouilles.
Ne voulant pas tenter ma chance plus avant, je posai mon bol sur le comptoir et filai dans la nuit. Je trouvai là Primrose qui m'attendait avec une grande bouteille tenue par les doigts-épingles en métal de son collier. La bouteille arborait un unique kanji sur son étiquette.
Caspian : Primrose, qu'est-ce que c'est ?
Primrose : Ça, David, c'est de la liqueur très forte.
Caspian : Et que faites-vous avec cette liqueur très forte, Primrose ?
Primrose : Eh bien je vais la boire, David, et vous allez m'aider.
Caspian : L'objectif n'était pas que je fasse le moins de vagues possible ?
Primrose : C'était mon plan initial, oui, mais il était ennuyant. Mon nouveau plan est d'expliquer toutes vos maladresses par le fait que vous êtes ivre ! Ce sera bien plus facile si vous êtes vraiment ivre.
Caspian : Je croyais que j'étais censé faire des recherches.
Primrose : Et je croyais que vous étiez en vacances ! Allez ! Il fait nuit, vous êtes un invité dans un monde étrange, vous n'avez personne à qui rendre des comptes… détendez-vous ! Soumettez-vous aux coutumes locales ! Faites confiance à votre guide ! Juste-… buvez un fichu verre avec moi, David.
Je soupirai.
Caspian : Soit, un verre - et seulement pour être poli.
Le Compendium donne la parole aux Observateurs.
Est-ce qu'on peut arrêter de raconter des conneries philosophiques pendant une minute, les adultes ? On parle pas de défoncer leur trou de dimension avec notre poing - on parle de transparence. Vous vous souvenez ? Il y a de cela bien longtemps ? Quand vous nous gardiez dans le noir ? Vous vous souvenez quand vous étiez des nobles dans votre tour d'ivoire et que nous étions la plèbe dans la vallée des ombres et des ténèbres ?
Ça n'a pas marché. Ça n'a jamais marché. Nous vous avons toujours vu - même si notre vision était un peu embrumée. Vous ne pouvez pas cacher la vérité, et vous ne pouvez pas empêcher les gens de la connaître. On y arrive d'une manière ou d'une autre, et quand on l'apprend, on est en colère. On prend tous les secrets que vous accapariez et on les transforme en des blagues irréalisables et impossibles. Le Collectif dit que l'art est un message ? Eh bien voilà notre message. Vous. N'êtes. Pas. Des. Dieux. En plus, allez. A6K est essentiellement composée de versions plus énervées de vous, les gars. Vous voulez vraiment leur dire non à eux ?
Bref, je suis d'accord avec la boîte de conserves et le singe de la lune. Si vous commencez à dessiner une ligne entre nous et eux, vous devenez des gardiens. On en a besoin que d'un, et aucun d'entre vous ne tient une épée en feu. Nous ne sommes pas au-dessus d'eux. Nous ne méritons pas mieux qu'eux.
Nous sommes eux.
Le Forum des Observateurs vote Oui.
5 - 5
Caspian : La Théorie (hic !) de la dimension principale est une sottise digne d'un comics, espèce de boule de poils cinglée !
Primrose : Dit-! Dit le mec qui mesure encore les fluctuations de la réalité avec des pr- des prputains de Humes ! Qu'est-ce que t'en sais, espèce de de demi-singe !?
Je crois que nous chantions un karaoké avant cette conversation. Les quelques heures suivantes sont éparpillées comme des pièces de puzzle dans mon esprit ; je me souviens des pièces, mais pas comment elles s'imbriquent. À ma décharge, j'avais bu un peu plus qu'un verre.
Je me souviens que les rues changeaient autour de moi et se remplissaient de créatures à la fois cauchemardesques et spectaculaires. Des nuées de silhouettes brillantes et fantomatiques nageaient littéralement au-dessus de moi, comme si le ciel était une profonde piscine sombre. Une dune de sable animée transportant des os de poulet et des gravillons roula entre mes jambes chancelantes. Il y eut une brève incartade lorsque nous percutâmes une famille de touristes italiens, dont les voix ressemblaient étrangement aux cris d'une cigale. Avant qu'une rixe n'éclate, nous plongeâmes dans un bar animé.
Primrose : Des propriétés uni- unificatrices clairement définies à travers les réalités qui ne peuvent pas être expliquées par des probabilités clas- classiques-
Caspian : Les atomes ont un nombre maximum de combinaisons (hic!) possibles, bon sang ! La biologie suit d'autres processus universels ! T'as de la gravité, t'as des squelettes. T'as des photons, t'as des yeux. Tu-
Primrose : Je parle pas juste de la prolifér- profil- prolif-ation de la vie carbonée dans des écosystèmes presqu'incompatibles ! Je parle des récurrences religieuses et culturelles ! Rien que le Miroir de Pierre Verte-
Caspian : Les hiérarchies sociales ! Les esprits cherchant à conceptualiser l'inconnu ! Acti (hic!) l'actuel-
Un yéti, je pense : Quid de la Théorie de l'ensemencement subatomique trans-dimensionnel d'Henlow ?
Primrose : Oh- pft ! Henlow ! Je réfute Henlow au petit-déj ! Ce maudit charlatan-
Caspian : Je t'interdis de parler de lui comme ça ! Et autre chose, madame la fashionista ! Madame petit blazer et petit nœud papillon ! L'orange. Et le violet. Ça va pas ensemble !
Primrose : Oh je vais te griffer.
Caspian : Ça va pas du tout ensemble !
Primrose : Tu veux que je te griffe le museau !?
Grande Orbe flottante : ❄︎♒︎♓︎⬧︎ ♍︎□︎■︎❖︎♏︎❒︎⬧︎♋︎⧫︎♓︎□︎■︎ ♓︎⬧︎ ◻︎□︎♓︎■︎⧫︎●︎♏︎⬧︎⬧︎ ♋︎■︎♎︎ ✋︎ ♒︎♋︎⧫︎♏︎ ♋︎❒︎♍︎♒︎♓︎❖︎♓︎■︎♑︎ ♓︎⧫︎📬︎
Caspian : Ouais ! Ouais ! Tu vois !? Ce gars- (hic!) ce gars a tout compris !
Primrose : Oh bien sû- shur que t'es d'accord avec l'Orbe !
À partir de là, à un moment, nous fûmes recrachés dans la rue avec au moins cinq nouveaux amis éméchés. Nous les perdîmes très rapidement, ce qui ne me dérangeait pas, car c'était de petits oiseaux très bruyants. Mais je perdis Primrose à un tournant, ce qui signifiait que j'étais de mon côté tout à fait perdu.
Même désinhibé par les spiritueux, j'étais trop nerveux pour demander de l'aide avant de trouver un autre humain, ce qui me prit un temps étonnamment long. Il y avait un homme dans un costume noir qui se tenait sous un lampadaire à l'extérieur d'un hôpital. Il ne put me répondre, mais il m'offrit une cigarette. "Je ne le ferais pas d'habitude," me dit-il, "mais c'est votre dernier jour dans ce monde. On va dire que ça compte." Je n'ai aucune idée de comment il a su pour mon marché avec Primrose, ou ce qu'il comptait, mais c'était un homme très sympathique.
Ne sachant pas quoi faire, j'ai titubé en direction d'un guichet électronique se tenant au milieu de la route. Son panneau holographique avait la même forme que la broche de Primrose - le globe et l'œil. Lorsque j'eus approché à quelques pas, une seconde projection apparut - un humain androgyne, entièrement constitué de lumière bleue.
Caspian : Euh-… s-salut ?
Guichet (?) : Bonsoir ! Comment puis-je vous aider ?
Caspian : Je-… euh, je cherche un chat-
Guichet (?) : Voudriez-vous une liste de refuges pour animaux ? Ou voudriez-vous vous connecter au Registre de la Communauté Féline-
Caspian : Non- non je- écoute, désolé, je suis pas d'ici. Je suis de cet endroit- elle l'a appelé A6K-
Guichet (?) : Voudriez-vous vous connecter au Jugement du Compendium en cours sur l'Unité avec A6K ?
Caspian : (…) Oui ?
Alors le guichet me montra. Cela me dégrisa quelque peu.
Le Compendium donne la parole aux Sans-Noms.
Il n'y a pas de frontières. Il n'y a que le chemin.
La taille, l'échelle et les circonstances ne sont que perception, prescription, subjectivité.
Ils ne sont pas eux, nous ne sommes pas nous, pas plus que vous êtes vous et nous sommes nous.
Une tête d'épingle peut être aussi large qu'une route, tant qu'il est possible de voyager à travers.
Si cela est possible, et cela est possible, alors cela doit être, et cela sera.
Il n'y a pas de oui et de non, il n'y a pas d'arrêt et de départ.
Il n'y a que le chemin, et ses embranchements convergent toujours - finalement, entièrement, ultimement.
Deux chemins ont divergé dans un bois et nous ?
Nous choisissons le chemin de la bravoure.
Car seul un fou combat l'entropie.
Nous voyagerons sur le chemin avec eux.
Depuis une ville dans une forêt où toutes les routes se rencontrent, voilà un vote Oui.
6 - 5
Emplacement : Le sommet d'une colline, quelque part.
C'est tout ce que j'avais demandé au fauteuil : le sommet d'une colline, quelque part. J'étais en périphérie d'une petite ville - une ville trouvable partout, en vérité, mais je savais tout de même que c'était aux États-Unis. Il y avait un grand chêne sur cette colline, et je m'assis contre lui pendant longtemps, seul.
Finalement, Primrose me trouva. Elle avait amené la bouteille avec elle.
Primrose : David ! Dieu merci ! j'ai fini sur tout un tas de toits pour te trouver, espèce de cousin germain du bonobo !
Caspian : Salut, Primrose.
Primrose : Whoa-hoh ! Est-ce que t'étais un phénom avec plusieurs foies depuis tout ce temps, David ? Tu as l'air tout à fait sobre !
Caspian : Mm. J'ai trouvé un distributeur automatique. Il était tout noir avec un clavier, et il m'a demandé d'entrer une requête. Donc j'ai demandé quelque chose pour me dessaoûler. Ça avait le goût de ces horribles bonbons cœurs à la cannelle… mais ça a marché.
Primrose : Oh ! Eh bien… tant mieux pour toi ! Maintenant tu as de la place pour le reste de cette bouteille !
Caspian : Pourquoi suis-je ici, Primrose ?
Primrose s'arrêta. Sa queue tomba.
Primrose : Tu n'est pas censé me poser la question.
Caspian : Je la pose. Pourquoi suis-je ici ?
Primrose : David, allez. On passait une nuit tellement drôle-
Caspian : Dis-moi pourquoi je suis ici, Primrose.
Primrose : Écoute, juste- je suis bien trop bourrée pour avoir cette conversation maintenant-
Caspian : Bordel Primrose, dis-moi pourquoi je suis ici !
Primrose : Parce que je voulais juste un jour de plus avec mon meilleur ami, okay !?
Le silence tomba après ce cri. Quelques oiseaux aux ailes noires s'envolèrent d'un arbre proche, mais après cela, tout fut douloureusement immobile.
Caspian : Le David Caspian de cette dimension.
Primrose : (…) Ouais.
Caspian : Quelque chose lui est arrivé.
Primrose : (…) Ce côté-ci de la réalité peut aussi être dangereux, parfois. Toutes les singularités ne mènent pas à des… endroits sympas.
Je reposai mon dos contre l'arbre et regardai la sombre canopée au-dessus de moi.
Caspian : Je suis désolé. Je m'en doutais mais… je suis désolé, Primrose.
Primrose : Ouais, eh ben… t'as bien raison d'être désolé. La picole pour rire c'est une chose, mais maintenant on va devoir passer à la picole triste, alors-
Caspian : Je dois toujours savoir pourquoi je suis ici.
Primrose : Q-!? Je viens de te le dire-!
Caspian : Pas la raison personnelle, la raison urgente. Primrose, sur quoi vote le Compendium en ce moment ? Qu'arrive-t-il à ma réalité s'ils votent "Oui" ?
Primrose me regarda les yeux écarquillés. Elle posa la bouteille par terre.
Primrose : L'Unité.Caspian : Et qu'est-ce que ça veut dire ?
Primrose : Ça veut dire que le Compendium fait ce qu'il a fait ici… mais là-bas. Il améliore les choses. Il prend le contrôle.
Caspian : (…) Et s'ils votent non ?
Primrose : Une singularité ne peut être fermée, David. Tu le sais. Une cisaille dans la réalité, par définition, doit être plus forte que la réalité elle-même. C'est là pour toujours. Donc… soit ta réalité est viable, soit elle est un problème. Soit le Compendium s'unifie avec A6K… soit il l'efface.
Le Compendium donne la parole aux Pacificateurs.
Beaucoup d'encre a coulé aujourd'hui sur les raisons qui nous amènent autour de cette table - pourquoi chacun de nous est ici. Eh bien, les Pacificateurs savent pourquoi ils sont là. Vous avez besoin d'un méchant. Vous avez besoin d'un enfoiré pour porter le chapeau de toutes les décisions difficiles. Vous avez besoin de quelqu'un qui dit "éliminez-les" et "arrêtez-les", pour que vous puissiez rentrer chez vous le soir et vous dire que vous avez vraiment essayé de prendre la bonne décision, mais bon, ces salauds de Pacificateurs n'ont pas voulu.
Nous sommes également ceux que vous envoyez lorsque la diplomatie échoue. Nous sommes les soldats que vous téléportez contre les cultes, les rivières de sang et les villes à l'envers remplies d'enfoirés d'immortels buveurs de thé parce que - eh oui - parfois, les choses veulent simplement vous tuer. Vous ne pouvez pas les laisser tranquilles, vous ne pouvez pas les déplacer, vous ne pouvez pas les convaincre de bien se comporter. Ils veulent juste vous tuer. Donc on les tue. N'oubliez pas qui arrondit tous les angles de votre monde parfait lorsque les morceaux ne s'imbriquent pas.
Maintenant que j'ai rendu mon psychologue fier, je vais aller droit au but.
Nous voulons tous la même chose : un monde sûr et stable. Nous sommes prêts à abandonner nos méthodes si vous avez une meilleure option. Ce n'est pas comme ça que fonctionne A6K. Nous l'avons vu. Ils ne font des compromis que lorsqu'ils sont acculés au mur. Ils prennent des raccourcis. Ils essayent de démonter les phénoms, comme si c'était une putain de bonne idée. A6K est un problème, et honnêtement, nous devrions la traiter comme nous avons traité de nombreuses autres dimensions à problème.
Nous ne pouvons pas leur faire confiance.
L'Initiative de Pacification Mondiale vote Non.
6 - 6
Emplacement : Le sommet d'une colline, quelque part.
Lorsque nous nous étions rencontrés pour la première fois, à l'issue d'une étrange politesse trans-universelle, j'avais conseillé à Primrose de me paralyser. 22 heures plus tard, c'est exactement ce qu'elle venait de faire.
J'étais assis, figé, au sommet de cette colline, tenant mes genoux contre mon torse. Je ne pouvais cligner des yeux. Je ne pouvais respirer. Le sang dans mes veines était gelé et refusait de revenir à mon cœur. Les rouages de mon cerveau s'arrêtèrent avec un crissement.
L'"Unité",
Ou l'effacement.
Lorsque le mur de l'anxiété s'affaiblit très légèrement, un flot frénétique d'éventualités émergea dans mon cerveau. Elles se répandirent devant moi comme des chemins escarpés et irréguliers. Je pourrais courir jusqu'au fauteuil, peut-être. Je pourrais lui demander de me ramener au toit. Je pourrais trouver un moyen de retourner dans ma réalité, pour les prévenir.
Devrais-je les prévenir ? Est-ce que ça aurait une importance ? Est-ce qu'ils me croiraient ? Pourraient-ils arrêter le Compendium ? Frapperaient-ils en premier ? Devais-je décider de détruire ma réalité ou celle-ci ? Comment pouvais-je croire des gens que je connaissais depuis moins d'une journée ? Comment pouvais-je croire des dirigeants que je n'avais jamais vu ? Comment pouvais-je croire ma propre réalité ? Je n'avais jamais vu le Conseil non plus !
Je me tournai pour regarder Primrose et… elle arborait une expression que je n'arrivais vraiment pas à identifier, comme si elle retenait une très grande inspiration.
Puis elle commença à rire.
Elle tomba sur le dos et rit en se roulant dans l'herbe humide.
Caspian : (…) Il n'y a pas d'invasion, n'est-ce pas.
Primrose : Bien sûr que non ! Ô gracieuse Mère du Dessus, ô ancien et nouveau Panthéon, tu es vraiment l'homme le plus crédule que j'ai jamais rencontré !
Caspian : Je viens d'arriver ici, Primrose ! Évidemment que je suis crédule ! Bon sang ! Alors qu'est-ce que veut vraiment dire "unité" !?
Primrose reprit son souffle et me sourit.
Primrose : Contact. L'unité signifie contacter ta réalité et lui proposer un échange. C'est ça, c'est tout !
Caspian : Alors appelle ça contact !
Primrose : Le Compendium est un institut scientifique, David. Il aime utiliser de jolis mots.
Je finissai par expirer. Je retombai dans l'herbe, les mains écartées, et regardai les étoiles.
Caspian : T'es vraiment une enfoirée, Primrose.
Primrose : Bien fait. Je t'avais dit de ne pas demander.
Caspian : (…) Donc, ils veulent nous parler.
Primrose : Pour commencer. Après un certain temps, après avoir appris à vous connaître, nous commencerons à apporter de l'aide humanitaire… peut-être de la technologie de base si vous en voulez. C'est une invasion, en quelque sorte - juste une invasion très lente et totalement volontaire. Au moment où vous nous dites "cassez-vous !", on se casse.
Caspian : Et si on est pas d'accord sur ça ? Si une partie du monde veut de vous, et pas l'autre ?
Primrose : Peu importe, ça doit être unanime. Une fois que vous serez arrivés à une forme de consensus, une sorte d'alliance - un conseil scientifique partagé pour le bien du monde, si tu préfères - vous pourrez nous rappeler.
Caspian : Et vous faites ça… souvent ?
Primrose : Plutôt, oui ! On a ce genre de votes à chaque fois qu'on tombe sur une nouvelle dimension. C'est rare que tout le Compendium doive être convoqué, cependant. Généralement, l'avis sur l'Unité est plutôt unanime. La réponse est généralement non. Ce n'est peut-être qu'un "échange", mais nous réalisons l'effet déstabilisateur qu'il peut avoir. Après tout, comme tu l'as dit, que faire si certaines personnes veulent que nous restions et pas d'autres ? Ça peut entraîner des alliances, mais ça peut aussi causer une guerre mondiale.
Caspian : Et… vous ne détruisez pas les réalités lorsque vous votez "non".
Primrose : Non, David, bien sûr que non. Ironiquement, les ruptures dimensionnelles sont le seul phénom que nous confinons réellement. On les scelle, on les dissimule et on les surveille. Détruire toute une réalité… je ne pense même pas que le Compendium ait ce genre de pouvoir ! Probablement. Il y a eu de rares fois où nous avons accordé de la… "pitié", je suppose, mais c'était pour des dimensions qui s'étaient littéralement transformées en enfer. Votre réalité est loin d'en être là, et vous n'êtes certainement pas une menace. Vous êtes juste… eh bien, clairement, vous êtes dans la zone grise.
Je ne sus quoi dire à tout ceci. cela semblait presque inadéquat qu'il n'y ait pas de grande calamité à l'horizon, pas de chute horrible à cette aventure. Je me contentai de rester là, zen devant mon incrédulité complète face à l'univers - aux univers.
Primrose soupira et s'assit à côté de moi.
Primrose : David, je connais plus de choses sur les réalités alternatives que quiconque sur cette planète. J'en sais sans aucun doute plus que toi - sans offense. Je les étudie depuis plus de 60 ans. Pour être honnête avec toi, je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle nos mondes sont si différents, et pourtant si similaires. Je ne sais pas qui, de vous ou de votre phénom, est l'œuf ou la poule. Est-ce que votre réalité hostile vous rend agressifs et méfiants ? Ou sont-ce votre agressivité et votre méfiance qui rendent votre réalité hostile ? Est-ce vous ? Est-ce le hasard ? Est-ce qu'A6K n'est qu'une grande tempête hors de contrôle dans un verre d'eau ? Et quant à nous, sommes-nous fondamentalement différents de vous, ou sommes-nous simplement le produit d'un mystérieux effet domino commencé il y a plusieurs milliers d'années, lorsqu'un humain a décidé d'être bienveillant avec un autre ?
Primrose haussa les épaules.
Primrose : Notre champ scientifique est une grosse pelote de laine. C'est aussi une phrase de chat, d'ailleurs. Tu ne peux pas l'utiliser.
Je jetai un long coup d'œil à Primrose.
Caspian : 60 ans, hein ?
Primrose hocha la tête.
Caspian : Quel âge as-tu ?
Primrose me frappa le visage avec force, puis partit en direction du fauteuil.
Le soleil commençait à se lever.
Le Compendium donne la parole à La Fondation.
On en revient toujours à nous, n'est-ce pas ? C'est de bonne guerre. Nous sommes à la source de tout ceci.
Nous avons vu des mondes évidés, fatigués par les cris d'une lune en fer forgé. Nous avons vu des planètes consumées par la mort, la non-mort et une vie répugnante. Nous avons vu une Terre horriblement étreinte pour l'éternité par un soleil d'un rouge lugubre. Je n'éléverai jamais les réalités à un concours pervers de calamité, mais ce qui m'a peiné le plus… voir un monde magnifique et immaculé, rempli de personnes heureuses… et arriver alors que les fleurs venaient de fleurir. Nous ne pouvions même pas leur dire ce qui arrivait… il y avait si peu de temps…
Je vous prie de m'excuser. Je ne voulais pas m'apitoyer sur le passé. Vous avez besoin que nous soyons rationnels, n'est-ce pas ?
Nous devons tous admettre une terrible vérité : A6K est, dans ce que nous avons trouvé, ce qui se rapproche le plus d'une véritable réalité parallèle. Nous pouvons les critiquer, mais reste le fait que nous n'avons jamais trouvé quelque chose qui nous ressemble autant. Nous nous sommes élevés des ténèbres, plus forts de nos épreuves ; qui peut dire qu'ils ne feront pas de même ? Ils pourraient être nos égaux. Ils pourraient même s'élever au-dessus de nous, un jour. Mais ce triomphe ne peut venir de nous.
Il doit venir d'eux.
La Fondation vote Non.
6 - 7
Mais avec un addendum :
Nous scellons le passage, mais pas entièrement.
Nous gardons un œil sur A6K, et nous les laissons nous trouver. Alors nous les accueillerons sans sécurité, sans confinement et sans aucune protection.
Lorsqu'ils seront prêts à entrer dans la lumière, nous serons là.
Il semble que cela conclut le vote.
Emplacement : Tokyo
Nous y étions revenus, sur ce toit. Ma blouse de laboratoire réapparut avec moi, accrochée sur le siège. Je remerciai ce dernier à deux reprises et lui dit qu'il avait fait un travail merveilleux aujourd'hui. Il émit un petit cliquetis de plaisir.
Primrose était assise là où je l'avais vue pour la première fois - mais cette fois, elle me tournait le dos. Je marchai jusqu'à elle et me tins à ses côtés pour regarder le soleil se lever à nouveau, cette fois au-dessus de la vaste canopée de bâtiments à l'architecture incroyable, d'un vert brillant et d'un blanc lustré. Je n'avais pas demandé comment ils faisaient pousser du lierre aussi grand. Je décidai de ne pas le faire. Je n'avais pas besoin de savoir. C'était spectaculaire, et c'était suffisant.
Primrose : Je ne pensais pas que ce serait si serré.
Je regardai Primrose.
Primrose : Le vote, je veux dire. Je savais que l'Oeuvre de Bienfaisance serait d'accord. Ils adorent défendre les sans-défense, et ton monde est la définition même de l'absence de défense.
Caspian : Primrose-
Primrose : La Pointe aussi, peut-être. Mon vote a dû compter pour quelque chose. En plus, le Collège Canin est obsédé par l'inclusivité - mais la Cosse Amphibienne est parfois tellement conservatrice !
Caspian : Primrose…
Primrose : Et personne ne pouvait deviner comment le peuple de la forêt allait voter. Comme toujours. Les Nocturnes sont une vraie surprise, étant donné ce que vous leur avez fait… mais qu'est-ce que le Collectif racontait, bon sang ? Est-ce que tu as compris quoi que ce soit-
Caspian : Hé, Primrose ?
Elle arrêta de parler, mais ne voulut pas me regarder. Même si j'avais beaucoup appris sur les expressions des chats dans ce monde, je n'arrivai pas à déchiffrer la sienne. Mais je pus deviner comment elle se sentait.
Caspian : Merci pour cette journée.
Elle ne répondit pas.
Caspian : Et, euh… désolé si j'ai appelé un chat un chat à propos de- ah, désolé, est-ce que c'est une expression réservée aux chats ?
Primrose : Tu peux l'utiliser…
Caspian : (…) C'est un monde étrange mais vraiment merveilleux que tu as là, Primrose.
Primrose : Ça pourrait être le tien aussi, tu sais.
Ce fut à mon tour de rester silencieux. Je regardai le ciel passer d'un doux orange à un pâle et prometteur bleu.
Primrose : Je veux dire- Je ne peux pas te sortir d'A6K à nouveau une fois que l'entrée sera scellée, mais je n'ai pas de véritable raison de te renvoyer ! Je suis sûr que je trouverai une excuse pour le Compendium, un truc à long-terme trans-culturel post-dimensionnel-… quantique-quark- argh ! Je trouverai ! Et si tu t'inquiètes pour ta Fondation SCP, on peut renvoyer un clone, ou un androïde - ou ! On a récemment trouvé une forme de vie similaire à des lentilles qui imite les humains au Népal ! Elle peut juste baver et tituber, mais je doute que ta réalité idiote le remarque !
Je me contentai de sourire, faiblement. Les paroles de Primrose finirent par s'évanouir dans un bas murmure, et lorsque je me retournai vers elle, sa tête était inclinée vers le bas.
Caspian : C'était vraiment une journée incroyable.
Primrose : (…) Tu ne vas pas leur dire, n'est-ce pas ? Tes supérieurs, j'entends.
Caspian : La Fondation SCP ? Oh Dieu, non. Je vais inventer quelque chose pour eux… mais en fait, je pense à quelqu'un qui apprécierait tout ça. Quelqu'un qui adore les bonnes histoires et qui sait garder un secret.
Primrose hocha la tête. Je plongeai mes mains dans ma blouse. Sans grande fanfare et sans grands adieux, je sus qu'il était temps de partir.
Mais avant ça, je demandai à Primrose une dernière chose.
Elle grommela, mais accepta.
Je lui caressai la tête,
et disparus.